Alerte Orange.

A présent, la plupart des élèves avaient repris leurs esprits. Kazuma restait assis, dos au mur, et fixait l’invisible point de fuite, droit devant lui. Dans le flou qui régnait de part et d’autre de ce point, les choses commençaient à remuer : Les sanguins s’énervaient, les prudents se concentraient, les peureux s’inquiétaient, les rusés réfléchissaient, les faibles pleuraient… et Kazuma était bien placé pour remarquer que les prédateurs jubilaient. Il se demandait auquel de ces groupes il pouvait bien appartenir.

Je crois le savoir.

Mais la situation était des plus intrigante : les lieux, les colliers, les inconnus, les élèves gazés ou bien drogués…
La sordide tournure des évènements lui laissait entrevoir plusieurs couleurs qui semblaient danser et scintiller devant son visage, comme les reflets de l’eau agitée. Rouge et jaune étaient à sa portée et la foudre frappa brièvement les entrailles de Kazuma. Si son visage n’était pas quasiment toujours figé dans la sérénité, peut-être que ses yeux fendus en amande se seraient élargis. Lentement, il ouvrit ses fines mains pour s’en saisir, mais trop tard : Il ne restait plus qu’un tourbillon orangé, engloutissant les lieux, ensorcelant le jeune homme. Il était insonore, invisible, impalpable, sans saveur, mais Kazuma pouvait reconnaître son arôme. Des senteurs lui revinrent : l’odeur de vieux livres et de bois de l’imposante bibliothèque d’Iino Seiichiro, dans le manoir familial, lorsque le soir d’été déverse son souffle nucléaire à travers les grandes fenêtres. Orangé. La terre fraîchement remuée au fond des jardins, à l’ombre complice des cerisiers de feu. Orangé… Oui, il sentait sa couleur.

Battement de cils.
Cette salle abandonnée était d’un gris aussi glaçant que la froideur humaine. Tout le monde semblait avoir compris que quelque chose d’intéressant devait être en marche. Aussi étonnant que ce fut pour Kazuma, ce sont ses tripes qui l’en avaient informé et une boule d’électricité venait d’y élire domicile, selon toute vraisemblance. Il se redressa, toujours adossé au mur, et posa une main curieuse sur son ventre.

Il avait fermé les yeux, pour mieux laisser le sixième sens apprécier cette nouvelle sensation. Mais ce fut l’ouïe qui le tira de son introspection, lorsque quelqu’un approcha avec fracas. Du son à la vue, Kazuma posa son regard froid sur la furie qui s’arrachait de la foule et venait dans sa direction. Il reconnût Akamatsu, une fille plutôt caractérielle. Elle semblait chercher à s’éloigner de la masse, de toute évidence très contrariée. Il repensa à sa mère qui, lorsqu’il avait 5 ans, suite à une hostile conversation téléphonique, s’était mise à détruire frénétiquement ses sculptures qu’elle affectionnait tant. Kazuma, alerté par le vacarme dans la galerie à l’étage, était entré et ne l’avait pas reconnue immédiatement. Cette femme hystérique à la chevelure chaotique, hurlant sa haine, le visage atrocement déformé, avait carrément terrifié les domestiques. Kazuma voulu lui parler, et après ce qu’il se passa, il décida de ne plus jamais la déranger dans cet état. Il comprit également qu’il valait mieux de façon générale éviter de déranger les personnes en colère.

Akamatsu venait de le remarquer, et elle le dévisageait à présent. Kazuma, en pensant à sa mère, s’aperçut qu’il soutenait ce regard avec détachement depuis plusieurs secondes. Il décida donc de s’en détourner. En cet instant, Chisuho et lui avaient probablement en commun cette nécessité de s’isoler du groupe, et la situation donnait suffisamment à réfléchir pour préférer profiter de la solitude.
En effet, Kazuma n’avait toujours pas tiré de conclusion logique, malgré la légère intuition qui le taraudait. Ces colliers sophistiqués laissaient penser qu’ils pouvaient être surveillés ou retenus prisonniers. Malheureusement, les indices manquaient et la meilleure chose à faire était sans doute d’attendre que l’explication inéluctable arrive d’elle-même.

Après tout, en cet instant, Iino Kazuma était à cent lieues d’être contrarié.

Ce jeune homme, Iino Kazuma. Elle n'avait pas eu de chance de se trouver près de lui, déjà qu'en plein soleil ce n'était pas le genre de personne très rassurante, alros dans cette situation là...Chisuho se sentait assez mal, en plus de sa douleur psychologique et de son inquiétude par rapport à son ignorance de ce qui l'entourait. Elle ne savait d'ailleurs pas pourquoi elle le regardait. C'était un regard abbatu, qui implorait presque la pitié. Peut être qu'elle avait besoin de réconfort, c'est tout, et que ce jeune homme était la première personne qu'elle connaissait.

Non...Quel jeu stupide,Chisuho était assez forte pour s'en sortir seule, elle n'avait pas besoin de ce jeune homme à qui elle avait adressé la parole que quelques fois dans l'année.Mais son regard ne lachait pas, au point qu'il s'en détournait. Elle tenta de reprendre le dessus sur ses émotions.

-Qu'est ce qu'on fait ici, je comprends rien...Tu le sais toi?

L’impatience semblait gagner l’assistance. Quelques altercations avaient retenu l’attention de Kazuma. Le garçon qui se comportait comme un animal s’était finalement mêlé aux lycéens, et le prédateur albinos commençait à sélectionner ses proies. Kazuma ne pouvait expliquer pourquoi l’atmosphère actuelle lui procurait cette agréable sensation, mais il se sentait vibrer à l’intérieur. Il caressa le métal froid du collier, puis remis ses mains dans les poches de son pantalon noir.

C’est alors que Chisuho lui posa une question. Le ton de sa voix était étonnamment calme, si bien que Kazuma cru tout d’abord qu’une autre personne s’était adressé à lui. Ses yeux se posèrent à nouveau sur la jeune fille, qui affichait à présent un air plus fragile et peu rassuré. Il ne l’avait jamais vue si vulnérable, même si elle s’efforçait de se contrôler. Une situation inexplicable comme celle-ci conduisait-elle les gens à ôter leurs masques ?

Comme souvent, Kazuma resta muet un court instant. Une question exige-t-elle une réponse ? Une remarque exige-t-elle une réaction ? Mes réponses ont-elles un sens ?... Monsieur Yochizuki, le majordome, n’aimait pas ces silences et mademoiselle Kanzaki me réprimandait à coup sûr…
Pour Kazuma, c’était comme si la Terre s’était arrêtée. Pour les autres, c’était un silence insoutenable.

Il quitta Akamatsu des yeux, fixant le vide devant lui.

- On est en vacances.

Comme dans un rêve, la voix douce et monocorde de Kazuma s’était échappée sans prévenir, presque à son insu. Dans sa tête, la voix sèche de mademoiselle Kanzaki le sermonnait encore pour son attitude. Soucieux de la faire taire, il se reprit :

- Je ne suis au courant de rien. Ca a l’air sérieux.

Distraitement, Kazuma s’était remis à caresser le collier. Toujours aussi froid…

Chisuho regarda Iino, un peu gênée de lire l'étonnement sur son visage. Peut être que ce dernier n'avait jamais été habitué à autre chose que l'arrogance et la véhémence de Chisuho. Peut être oui, de toute facon elle avait toujours dans l'esprit des gens cette image de la fille sûre d'elle et pas toujours très sympathique. Peu lui importait dans le passé, peu lui importait même maintenant, et sans doute peu lui importerait à l'avenir. C'est juste qu'à cet instant, elle sentit qu'elle n'avait plus personne, plus d'épaule sur qui pleurer, plus d'amis. Au point où elle était venue parler à ce jeune homme dont elle ne prêtait guère attention en temps normal.

Elle ne se sentait pas vexée qu'on semble outré de sa gentillesse, ou plutôt de son désarroi, c'était prévisible...Mais c'était tellement injuste et faux. Elle ne le méritait pas, car elle n'avait jamais été méchante, juste arrogante de nature, mais chacun a ses défauts. Et au fond, elle savait qu'elle était quelqu'un de bien, même si les gens autour semblaient en douter.

-Je...

Que répondre? Le jeune homme était inapte à conduire une conversation, ses mots se fondaient dans l'oubli, il n'y avait aucune réplique à relancer, rien. Chisuho pensait que c'était son caractère, mais si peut être la cause de ce désintérêt à son égard, c'était elle?

-Je...désolée, je te gêne... Tu voudrais que je parte?

Il fallait s’y attendre, la réponse austère de Kazuma avait fait l’effet habituel : Chisuho pensait l’avoir dérangé, plus que de raison. Le jeune homme se demandait ce qu’une fille comme elle pouvait bien attendre de lui, alors qu’ils n’avaient quasiment jamais eu le moindre échange au cours de l’année scolaire. Il n’avait pas l’habitude d’être abordé ou sollicité, mais plutôt ignoré ou, au mieux, montré du doigt. Et ça lui convenait parfaitement. Iino Kazuma n’avait jamais rien pu faire pour qui que ce soit.

Mais pour l’heure, il ignorait toujours ce qui les attendait (même si son intuition lui martelait la cervelle de séduisantes explosions radioactives, basculant l’univers grisonnant dans l’orange enivrant), c’est pourquoi il valait mieux suivre le sentier.

- Peu importe. Ta présence ne me dérange pas.

Kazuma se rendait compte que sa réponse aurait tout aussi bien pu être prononcée d’une étoile brûlant à des dizaines d’années-lumière. Il ne savait pas y faire, ses réactions étaient toujours en décalage et interprétées comme du dédain. A la maison, le jeune maître était si peu loquace que même les membres les plus empathiques du personnel s’étaient découragés de le côtoyer.
La seule chose qui conduisait Kazuma à échanger de son plein gré une conversation avec autrui était sa soif naturelle de connaissance et d'analyse des sentiments. Sans elle, il n’aurait jamais demandé à sa mère ce qui la faisait parfois verser des larmes, ni interrogé son père sur ce qui le faisait rire quand il lisait une bande dessinée, ni questionné Monsieur Yochizuki sur ce qui le rendait heureux au point de siffloter en jardinant à la fraicheur du matin… Et il n’aurait jamais posé cette question à Chisuho :

- Eprouve-tu de la peur en ce moment, Akamatsu-san ?

Akamatsu…

Akamatsu wa shin
Kuromatsu wa hana
koboshikeri

Ce haïku résonna dans sa tête, exhumé lorsqu’il s’entendit prononcer le nom de Chisuho. S’il n’en saisissait pas la portée, Kazuma essayait de visualiser cette scène de nature sauvage, cette marée de pins rouges et noirs à perte de vue. Que signifient nos noms…
Il se prenait souvent à s’égarer de la sorte, mais aujourd’hui, Kazuma préférait couper court à la rêverie, se positionnant ici-même, pour devenir le pion passé de l’échiquier.

Bien, alors puisqu'elle ne le dérangeait pas, elle restait. Chisuho savait que plus tard elle regretterait de s'être montré sous ce nouveau jour qui peut être était son vrai visage .Elle serait sans doute moquée lorsqu'Iino ira dire à tout le monde que l'arrogante Akamatsu a eu coeur, quoi que le jeune homme n'étant pas du genre très avenant, elle n'avait pas beaucoup de souci à ce faire de ce côté là.

La tête plongée dans ses mains, elle observa au loins Akeno, Naoko et Miyamoto discuter et rire. Ah , cette situation de perdante qui va pleurer dans son coin! C'était insupportable à vivre, Chisuho se promit de se venger de la CEAM dès qu'elle le pourrait, et de se délecter de l'instant où elle aura à ces pieds les trois personne en train de la supplier.
Mais pour l'heure ,elle était à côté de ce jeune homme, asocial et presque muet. Ce fut un comble lorsqu'il lui demanda si elle avait peur. Chisuho le regarda avec un air de ne pas comprendre ce qu'on était en train de lui dire.

-Peur? Non...bien sûr que non.

Non elle n'avait pas peur, ce n'était pas son caractère d'avoir peur, même ici. Elle se sentait juste démunie, se trouvait dans une des rares situations où elle n'avait plus le contrôle. Cet endroit peu rassurant, ces colliers, cette salle, ces autres élèves... Puis surtout Akeno, qui venait de la larguer , se débarasser d'elle comme on jette un chiffon sale...
A l'évocation de tout cela, Chisuho sentait son corps se remplir d'une haine qui la rendit soudain plus forte, et moins appitoyée. Elle retrouvait peu à peu son teint des beaux jours.

-Et toi, tu caches ta peur derrière ce silence et ce visage placide?

Mais c'est alors qu'elle apercut de là où elle venait de partir, Akeno et sa jolie troupe en compagnie de Yukie, la petite pimbeche de service. Chisuho était d'un naturel très rancunier, la vengeance faisait partie de ses principes de bases, et elle ne pouvait que sourire de voir la petite dispute. La bourge de service observait un combat perdu d'avance, la pauvre, après tout elle ne savait pas à qui elle s'adressait avec tant de virulence. Cette scenette pathétique redonna le sourire à Chisuho, elle se sentait mieux, mais surtout, il naissait en elle un sentiment qui lui était propre lorsqu'elle se retrouvait face à ces querelles avec la CEAM: l'envie.

L'occasion inespérée de ratrapper son humilaition se présentait devant elle, mais il n'y avait pas que cela. Elle avait besoin de cracher , de se défouler sur ces gens qui n'avaient pas hésité à être cruels avec elle. Le sourire aux lèvres, larmes oubliées en quelques secondes, elle regarda Iino, avec l'air fier qu'elle prenait à son habitude.

-Excuse moi.

Puis tel un guerrier qui se lance au combat, elle se dirigea vers Naoko, Miyamoto et Akeno. Elle était prète à cracher les méchancetés les plus bêtes et les plus méchantes

>>> ce mal de tête...

Lorsque Chisuho l’interrogea à son tour sur ses émotions, Kazuma ne sut quoi répondre. En revanche, cela déclencha un flot de questions dans son esprit : se pouvait-il que quelque chose qui lui avait toujours manqué sommeille-t-en réalité au fond de son être depuis sa naissance ? Son insensibilité se devinait-elle de l’extérieur ? Que trouverait-il dans l’obscur marécage de son subconscient ? Avait-il jamais voulu s’y installer, habituer sa vue aux ténèbres, draguer les eaux funestes ?

-Je n’y avais jamais pensé… murmura-t-il pour lui-même.

Mais je suis ici, je suis réel. Je peux toucher le froid, sentir l’herbe humide, entendre le vent hurler, voir le soleil se coucher et lui dire adieu. Je peux tordre le cou et goûter à la chair, garder ma salive et tourner avec le monde. Je découvrirai ce que ça fait, merci, Yochizuki-san.

Mouvement de l’œil.
Chisuho Akamatsu n’était plus là. Cette dernière minute s’était écoulée comme un rêve pour Kazuma. De ces rêves qui s’inhument sans qu’on ne les connaissent. Voilà à quoi ressemblaient les rares relations du jeune homme : Un spectre traversa le couloir cette nuit.

Les professeurs entrent dans la salle accompagnés d'une vingtaine de militaires.

[Suite des topics dans l'étape 2 --> Attention: Bien lire les explications au début. Merci. Bon jeu les jeunes^^]